Île-de-France : les missions locales redoutent une baisse de 50 % des financements régionaux en 2023
La ligne dédiée aux missions locales ne figure pas dans le projet de budget 2023 adopté par le conseil régional d’Île-de-France réuni en session plénière les 12 et 13 décembre 2022. Dotées de près de 17 millions d’euros en 2022, les missions locales se voient imposer par la région Île-de-France un nouveau cadre de subvention avec un financement à l’acte "pour dynamiser l’insertion des jeunes". Après les décisions de la région entraînant la suppression du Carif-Oref Défi métiers et des EDI (Espaces dynamiques d’insertion), cette nouvelle modalité inquiète les missions locales et les syndicats.
La manifestation en soutien aux missions locales le 13 décembre 2022, devant le siège du conseil régional qui examine le budget 2023. Droits réservés - DR - Twitter
Un nouveau cadre financier a été présenté par la région pour le financement des missions locales, et au-delà, de toutes les structures qui accompagnent les jeunes sur le territoire francilien (lire sur AEF info). Une convention relative au financement 2023 des missions locales a été soumise aux élus lors de la session budgétaire du conseil régional le 13 décembre 2022, prévoyant une subvention de fonctionnement avec une partie "socle" adossée à des critères d’activité de l’année 2022 (sur la base de 10 % maximum du budget régional dédié et répartie entre les missions locales en fonction du poids de chacune d’entre elles), et une partie "performance" adossée à des critères de résultats de l’année 2023. Ainsi, lorsqu’elles orienteront les jeunes vers les dispositifs financés par la région, les structures recevront :
100 € pour une orientation vers l’aide au permis ;
400 € vers une formation régionale ;
600 € vers le Revenu jeunes actifs par jeune orienté vers une formation qualifiante dans un des 11 secteurs connaissant des pénuries de main-d’oeuvre retenus par la région.
Ce financement à l’acte valorise la "performance" selon la présidente du conseil régional, Valérie Pécresse (Libres - LR), une culture du résultat plutôt que de la subvention. En 2022, les missions locales de la région se sont vues attribuer près de 17 millions d’euros. Dans le budget 2023, leur ligne spécifique disparaît au profit d’une ligne "Structures d’insertion des jeunes", dotée de 12 millions d’euros et "dont les véritables contours restent flous", selon la fédération CGT des organismes sociaux.
UNE DÉCISION CONTESTÉE
Par ailleurs, le principe de conventionnement triennal sera abrogé au profit de conventions annuelles. Pour l’ARML (Association régionale des missions locales), "la nouvelle convention annuelle (limitant de fait les perspectives budgétaires) adoptée par la région sans concertation prévoit de financer les missions locales quasiment exclusivement (90 % du budget) en fonction des orientations des jeunes sur les dispositifs de formation financés par le conseil Régional sur la base d’un tarif forfaitaire pour chaque entrée. Ce modèle revient à considérer les missions locales comme des prestataires de services, leur rôle étant réduit à celui d’une agence de placement sur les dispositifs du conseil régional".
"Cela ne correspond pas à la philosophie qui est la nôtre, qui consiste à placer l’accompagnement du jeune en premier. Cela nie tout notre travail d’accompagnement, de lutte contre le décrochage scolaire, de repérage des Neet ou d’accompagnement vers l’apprentissage", déclare à AEF info Jérôme Boillat, délégué général de l’ARML IDF.
Cette tarification à l’acte désavantagerait certaines missions locales éloignées physiquement d’une offre de formation. L’ARML estime qu’avec le niveau d’activité des trois dernières années, soit environ "15 000 entrées annuelles" dans des dispositifs du conseil régional, la nouvelle convention aboutira à une perte de financement de l’ordre de "8 millions d’euros", soit l’équivalent de "160 postes" à l’échelle de la région et donc une réduction de "50 %" des crédits alloués aux missions locales. D’autant plus que la subvention de la région dédiée à l’ARML (600 000 euros) est supprimée. "C’est une catastrophe pour l’ensemble des structures. Chacune des 64 missions locales va devoir amortir ça à sa manière. Pour celle de Paris, cela représente une perte d’un million d’euros. D’autres, en milieu rural, devraient multiplier par 8 leur nombre d’entrées" pour conserver leurs moyens actuels, calcule le délégué général.
GOUTTE D’EAU
Côté syndical, après la dissolution du GIP Carif-Oref Défi Métiers, et la suppression du dispositif Espace de Dynamique d’Insertion (EDI) pour les jeunes les plus en difficulté, la décision régionale représente un coup supplémentaire porté par la région aux structures interfvenant dans le champ de l’insertion et de la formation professionnelles (lire sur AEF info) Un appel à la grève a été lancé le 13 décembre. L’union régionale de la CGT demande à la présidente de la région de "maintenir son financement des missions locales dans le cadre des missions définies par le code du travail et ne pas leur imposer de ne travailler que pour ’remplir de manière forcée’ des formations vers les métiers en tension".
La fédération CGT des organismes sociaux et le Synami CFDT ont aussi fait parvenir un courrier au ministre du Travail, du Plein-emploi et de l’Insertion, Olivier Dussopt, et à la Première ministre, Élisabeth Borne, pour les "alerter de la situation que risquent de connaître les missions locales franciliennes". Les signataires précisent : "L’exécutif régional a laissé entendre que cette année 2023 servirait de test avant d’envisager la fin totale d’un subventionnement des missions locales par la région Île-de-France. Cette situation va mettre en danger le réseau francilien des Missions locales, et questionne le risque que d’autres régions emboîtent le pas à la région Île-de-France, entraînant une rupture d’égalité manifeste en matière de service public."
En séance, Hella Kribi Romdhane, conseillère régionale du Pôle écologiste, a évoqué "l’année de la jeunesse sacrifiée", en lien avec la fin du GIP Défi-métiers, des EDI, et la menace sur les missions locales. "Votre vision de l’insertion de jeunes est hors sol. Elle nie la réalité des difficultés qu’ils rencontrent. Alors que la région Île-de-France assiste à l’explosion du nombre de Neet, vous prenez arbitrairement la décision, sans concertation avec le Crefop et au mépris des recommandations du Ceser, de supprimer le dispositif des EDI qui accueillent les jeunes les plus décrochés, les plus fragilisés de notre région. Votre justification, c’est qu’il n’oriente pas suffisamment vers les formations proposées par la région", a déploré l’élue.
LES REGRETS DU CESER
Pas de trace dans ce budget des EDI, dont la disparition a été actée par Othman Nasrou lors d’une réunion le 30 novembre 2022 (lire sur AEF info). Le Ceser s’en émeut dans son avis relatif au budget primitif 2023 : il "regrette que les Espaces dynamiques d’Insertion aient appris le 19 septembre dernier que l’appel à manifestation d’intérêt a été suspendu, pour la période 2023-2026. Au 31 décembre 2022, les EDI ne seront plus en capacité financière de poursuivre l’accompagnement des jeunes les plus éloignés de l’insertion socioprofessionnelle et des autres dispositifs d’insertion, ni de rémunérer les professionnels."
Quant au nouveau mode de financement des missions locales, le Ceser estime qu’il est "complètement inapproprié" : "Il sera impossible dans ce cas de prendre en compte l’accompagnement individuel que requiert la réinsertion professionnelle, elle-même souvent conditionnée par la levée des freins périphériques tels que le logement et la santé."