C’est le titre d’un article récent de Michel Abhervé sur son blog, blog dont nous n’hésitons pas à faire régulièrement quelques publicités méritées (malgré son tropisme bretonnant et son attrait pour les manifestations rurales autour de produits du terroir, ce qui est plutôt sympathique).
Nous apprenons donc qu’une étude très précise des dépenses de formation (coût pédagogique par demandeur d’emploi) montre que les dépenses faites par les régions sont beaucoup plus homogène (de 1 à 3) que celles réalisées par l’Etat (de 1 à 7).
Voilà qui relativise singulièrement l’idée que quand c’est l’Etat qui est à la manœuvre, c’est l’égalité de traitement, et que quand c’est la région, c’est le creusement des inégalités.
Voilà aussi qui fait écho au rapport de la Cour des Comptes de 2012 qui montrait comment le Ministère de l’Education Nationale était le premier organisateur des différences de financements considérables entre écoles, donnant beaucoup plus aux écoles « favorisées » au détriment des écoles « défavorisées ». Ce qui fait tout de même un choc quand on croit au discours d’égalité sur le premier et plus important fondement du pacte républicain : l’école publique, laïque et obligatoire (cf l’article :L’Etat renforce les inégalités scolaires)
Ce débat est fondamental - et très ancien - pour les ML, qui sont par nature en tension entre l’adaptation aux territoires, avec des moyens divergents selon les contextes locaux et régionaux, et un impératif d’égalité de traitement, fondement du pacte social français (ou ce qu’il en reste). Le lièvre soulevé par Michel Abhervé nous rappelle que ce débat n’est ni simple, ni simplifiable. Il n’y a pas, comme on veut souvent nous en convaincre, d’un coté « un Etat protecteur, égalitaire et juste », et de l’autre « des collectivités augmentant les inégalités et fonctionnant comme des entités quasi féodales et clientélistes ».
Mais la caricature inverse : d’un coté « un Etat mammouth aveugle et incapable de gérer », de l’autre « des collectivités forcement meilleures parce que plus proche du citoyens » serait tout aussi manichéenne et empêcherait de penser la complexité et de trouver les meilleurs équilibres.
Dans ce vieux débat, jacobins contre girondins, chacun voit immédiatement où se situe, quasiment par réflexe, la plupart des forces politiques et syndicales, la CFDT étant plutôt naturellement du coté de l’autonomie des acteurs, et très méfiante vis à vis des grands systèmes « tout Etat » qui tiennent les citoyens le plus loin possible de la décision ( la CFDT s’étant construite dans la lutte contre les totalitarismes, forcément, ca marque).
Mais si nous sommes donc plutôt décentralisateurs, nous ne suivrons pas jusqu’au bout Michel Abhervé dans l’affirmation de son titre : « La régionalisation produit moins de disparités que la gestion centralisée ». Pouvons-nous être certains que ce soit toujours vrai ? Mais nous ne somme pas experts dans tous les domaines. Par contre, ce dont nous sommes sûrs, c’est qu’en matière d’insertion et d’emploi, seule domaine où le Synami revendique une certaine expertise, c’est globalement vrai (donc avec des nuances). Et c’est prouvable. C’est d’ailleurs la formidable intuition du rapport Schwartz de 1981 qui part, il faut le rappeler, d’expériences locales pour construire un outil totalement décentralisé pour l’insertion des jeunes.
Dans une période où l’on raisonne essentiellement par système (là aussi vieille tradition française, la faute à Descartes ?), plutôt que par expériences empiriques, donc prouvées sur le terrain, cette étude nous rappelle bien à propos qu’il n’y a pas de systèmes miraculeux, « tout Etat », ou « tout région », ou « tout local », mais qu’il faut une recherche permanente du meilleur équilibre et du meilleur niveau de décision et d’action. Une réflexion acceptant la complexité, réfutant les mythes idéologiques qui structurent tant d’acteurs politiques et syndicaux, c’est culturellement difficile, tant nous avons été tous formatés par cela. Mais cela est possible si nous suivons un peu ce qu’a essayé de nous apprendre Bertrand Schwartz : écouter les personnes, dans leur situation.
L’article de Michel Abhervé :
"Il est courant d’entendre affirmer que la gestion nationale a pour but d’assurer l’égalité de traitement entre tous les citoyens, et que le principal risque de la décentralisation est d’aboutir , de fait, à une différence de traitement entre les citoyens selon leur lieu d’habitation. Ce raisonnement part du postulat que la gestion nationale est, par nature, fondée sur une égalité de traitement, postulat qui n’est jamais démontré, et qui souvent s’avère faux."
La synthèse de l’étude sur les dépenses réelles de formation entre l’Etat et les régions : [http://www.cnfptlv.gouv.fr/IMG/pdf/jalon_tf2010_juin13vd.pdf